Cadre supérieure hier, elle est accueillie aujourd’hui dans un centre d’hébergement d’urgence
Rien ne la prédestinait à devenir sans abri. Agnès avait un emploi, un appartement, une famille. Face aux difficultés financières, sa vie a dérivé. A 47 ans, cette mère de famille s’est retrouvée sans toit avec ses deux enfants. Aujourd’hui, elle essaie de se reconstruire sur les ruines d’un passé douloureux et nous livre son témoignage.
« J’aime beaucoup la danse, la musique. Je me souviens de ces soirées aux théâtres avec mes enfants. Je me souviens de ces soirées en familles où nous écoutions du jazz moderne, la rumba congolaise. Je me souviens de l’excitation avant d’aller aux concerts. Je me souviens de ces après-midis à lire tranquillement. C’était ma vie, notre vie, avant d’arriver au centre d’hébergement d’urgence « Pasquier » à Paris, géré par la Fondation de l’Armée du Salut, qui accueille des familles à la rue, sans toit, comme nous.
Je suis née à Paris en 1971 et j’ai toujours vécu dans la capitale. Dans mon enfance, j’ai manqué de rien : des parents bienveillants, des sœurs et un frère aimant et de bons amis. Après une scolarité normale, j’ai obtenu un Bac professionnel dans les métiers du commerce, en 1988. J’ai ensuite obtenu un diplôme d'études universitaires générales (DEUG) en Administration économique et sociale (l’équivalent du Bac + 2). J’ai poursuivi mes études et j’ai décroché une licence en ressources humaines.
En 1993, je suis rentrée sur le marché du travail et je suis devenue responsable de magasin. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé dans les métiers du commerce avant d’envisager une carrière dans le secteur bancaire privé et plus précisément dans les ressources humaines. J’ai été gestionnaire des ressources humaines dans plusieurs banques. J’ai 20 ans d’expérience professionnelle.
J’étais en couple pendant plusieurs années mais après deux séparations, je me suis retrouvée seule avec deux enfants. Je me suis battue toute seule pour élever mes enfants. J’avais un salaire de 2 000 euros par mois, un loyer à payer dans le privé dans un des arrondissements aisés de Paris et les charges des enfants afin de leur assurer un bon cadre de vie.
J’ai vécu seule dans la vie face à l’angoisse
Cette seconde séparation s’est conjuguée avec une perte d’emploi, en 2017. Ensuite, j’ai décidé de faire un master en ressources humaines entre en 2017 et 2018 afin d’avoir par la suite un poste mieux payé. Durant cette période, je touchais 700 euros dans le cadre de ma formation et 400 euros d’aides de la caisse d’allocation familiale. Au total, j’avais 1 100 euros de revenu mensuel avec deux enfants : un fils de 17 ans et une fille de 6 ans. A ce stade de la vie, je devais faire un choix entre nourrir mes enfants et payer le loyer.
A cause des difficultés financières, il y a eu des mois où je n’ai pas pu payer le loyer, les factures d’électricité. Il y a eu des mois où nous vivions dans l’angoisse. J’ai essayé de faire le maximum pour acheter de la nourriture et vêtements aux enfants. Je me suis battue pour que mes difficultés n’aient pas d’impact sur la scolarité de mes enfants. Je me disais tous les jours, certains vivent des situations pires que la mienne, il ne faut pas baisser les bras. Mais un jour, j’ai dû rendre les clés de mon appartement avant l’arrivée des huissiers. Même si je savais que nous allions être sans abri, je ne voulais pas faire subir à mes enfants la violence de voir les huissiers et des forces de l’ordre saisir nos biens.
Nous avons dû passer deux semaines dans les appart ’hôtels, parce que personne ne voulait nous héberger. C’est vite devenu un gouffre financier : le prix à la journée était de 106 euros. Au total, j’ai dû payer plus de 1400 euros !
Mais dans cette période difficile de la vie, aucun membre de ma famille ne m’a pas tendu la main. J’ai donc appelé une amie, qui a senti que la situation était très grave, elle est donc venue nous chercher. Mes enfants continuaient à aller à l’école et au lycée et je travaillais à l’époque mais il était devenu très difficile de joindre les deux bouts.
Un jour, j’ai décroché le téléphone pour appeler l’assistante sociale de l’arrondissement où nous vivions. Je lui ai expliquée que j’étais à la porte. Elle m’a conseillée d’appeler le 115. Pendant deux semaines j’ai appelé la plateforme d’appels d’urgence plusieurs fois par jour, sans réponse. Un jour, une opératrice m’a répondue et a créé mon dossier. L’assistance sociale a donc pu faire avancer les démarches en lien avec le 115 et j’ai finalement été orientée avec mes enfants vers ce centre d’hébergement d’urgence, dans le XVIIIème arrondissement de Paris.
Aujourd’hui, je dis à mes enfants que nous sommes accueillis ici car on doit nous aider à obtenir un logement social, la Fondation de l’Armée du Salut nous accompagne du début à la fin.
Aujourd’hui, je veux que ma longue recherche de logement social aboutisse, je veux reprendre un travail. Je veux retrouver une vie tranquille.
NDLR : Pour des raisons de confidentialité, les noms et photos associés à ce témoignage ont été modifiés
Pour en savoir plus :
- Visite d’un nouveau centre d’hébergement pour familles
- Hiver 2019-2020 : plus de 840 places d’hébergement d'urgence ouvertes par l’Armée du Salut pour les personnes sans-abris
- Hiver 2020 : près de 840 places d’hébergement ouvertes par l’Armée du Salut (communiqué de presse)
- Aucun enfant contraint de vivre dehors cet hiver ! (tribune interassociative)