« Le droit est un outil contre l’exclusion »

Publié le : 30 avril 2020
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Après des études en droit et une thèse en philosophie du droit, Antonio Spampinato, juriste et universitaire, travaille au sein de l’association Droits d’Urgence et intervient dans les deux accueils de jour de la Fondation de l’Armée du Salut à Paris. Il y agit en suivant l’idée que « le droit est un outil contre l’exclusion. »

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Nom, prénom témoignage
Antonio Spampinato
Détail sur la personne
Juriste et universitaire, Association Droits d'Urgence
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Quelles sont les missions de Droit d’Urgence et, au sein de cette association partenaire de la Fondation de l’Armée du Salut, quelle est votre propre action ?

Antonio Spampinato :  Droits d’Urgence est une association parisienne, créée en 1995, dont l’objet est la lutte contre l’exclusion par l’accès au droit. Après avoir été bénévole, je suis devenu en 2019 salarié de cette association, au sein du RAD (relais d’accès au droit, marché public de la Ville de Paris), qui rassemble 22 juristes. Particularité de notre action : au lieu d’accueillir nous-mêmes du public, nous intervenons dans des structures partenaires (une soixantaine au total), dans le cadre de permanences juridiques généralistes, et en veillant à coordonner nos interventions avec le travail des équipes. A la Fondation de l’Armée du Salut, j’interviens dans les deux accueils de jour de Paris, l’ESI Saint-Martin et la Maison du Partage. Nous proposons également des « informations collectives », c’est-à-dire des temps de formation destinés aux professionnels des structures partenaires. Par exemple, une information sur le droit des étrangers était prévue avec l’équipe de l’ESI Saint-Martin… en suspens pour cause de Covid-19. Ces temps sont importants car, selon les situations, il arrive que les professionnels des structures doivent intervenir en urgence pour réaliser telle ou telle démarche juridique, et il est alors important qu’ils soient en mesure de le faire avec des bases suffisantes. Cela a déjà été le cas à l’ESI Saint-Martin pour des recours à déposer en urgence contre des OQTF [Obligation de quitter le territoire français].

En quoi consistent vos interventions dans les deux accueils de jour parisiens de la Fondation de l’Armée du Salut ?

A.S. : Comme pour chaque structure partenaire, j’interviens une demi-journée par semaine à l’ESI Saint-Martin, le mardi matin, et à la Maison du Partage, le lundi matin. Compte tenu du public qui y est accueilli et domicilié, les situations juridiques que j’accompagne, souvent complexes, concernent principalement le droit des étrangers, dont une partie pour des procédures liées du droit d’asile (de nombreuses personnes relèvent de la procédure européenne dite « Dublin »). Certaines situations peuvent ouvrir aussi des questions en droit pénal ou droit de la famille. Lors de chaque permanence, je rencontre trois à quatre personnes : lors du premier rendez-vous, on constitue une « fiche de situation » et, souvent lors d’un deuxième rendez-vous, on trie et organise tous les documents nécessaires à la démarche à entreprendre (demande en Préfecture, recours, etc.) parmi ceux que détient la personne, tout en cherchant à préciser certaines informations utiles. Notre rôle consiste à aider la personne à préparer le plus soigneusement possible sa demande ou son recours, condition indispensable pour qu’il soit recevable et, parfois, accepté. Pour les besoins de ces dossiers, nous échangeons également de nombreux courriers et mails avec les services préfectoraux. Avec les personnes rencontrées à l’ESI Saint-Martin et à la Maison du Partage, nous communiquons en français, parfois en anglais, voire en italien – et il me semble que le fait que je sois moi-même étranger met les personnes à l’aise. Si on rencontre des difficultés, on peut faire appel à des assistants sociaux parlant d’autres langues (notamment l’arabe). A l’ESI Saint-Martin, certains rendez-vous se déroulent avec la participation d’un travailleur social qui connaît la situation de la personne. Depuis le 17 mars, les rendez-vous sont suspendus, j’ai travaillé à distance avec une assistante sociale pour le suivi de quelques dossiers et j’ai encore eu, les premières semaines, des contacts téléphoniques avec des personnes que j’avais déjà reçues en rendez-vous.

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Notre rôle de médiation et d’accompagnement en préfecture est important

Quelle est la situation juridique des personnes que vous accompagnez ?

A.S. : Je rencontre majoritairement des ressortissants de pays africains, quelques latino-américains (Venezuela et Colombie), il y a eu une « vague » de personnes d’Europe de l’Est (qui peuvent circuler en France mais non s’y installer, en l’absence de travail), et il m’arrive aussi de recevoir des Algériens vivant en France depuis 20 ou 30 ans sans titre de séjour. J’accompagne les personnes pour des demandes de titre de séjour dits « régularisation 10 ans » ou pour motif de santé – dans les deux cas, les refus sont les plus fréquents, sur la base de motivations parfois très contestables : quel sens cela a-t-il, comme je l’ai déjà vu, de refuser un titre de séjour santé à une personne en situation de handicap très lourd, en prétendant qu’elle pouvait être soignée dans son pays d’origine, la Côte d’Ivoire, ce qui n’est évidemment pas le cas ? Heureusement, mon intervention permet parfois de faire avancer une situation : je me rappelle par exemple le cas ubuesque d’une personne qui venait de déménager, en changeant de département, et à qui était refusé le renouvellement de son récépissé, chaque préfecture se « renvoyant la balle ». Ma présence physique à ses côtés lors d’un rendez-vous en préfecture a visiblement permis de trouver sur le champ une solution… Notre rôle de médiation et d’accompagnement en préfecture est important.

Quel sens donnez-vous à vos interventions ?

A.S. : Ce qui m’intéresse, c’est mettre le droit au service du social. Lors de mes rencontres à l’ESI Saint-Martin et à la Maison du Partage, je retrouve des situations concrètes qui me renvoient à des questions abordées dans mon travail de juriste et universitaire. Pour moi, le droit est un outil contre l’exclusion. Même si la plupart des personnes que j’accompagne se trouvent dans des situations très difficiles, chacun réagit différemment, par la colère, la persévérance, la dépression, certains gardent leur lucidité et l’espoir, certains sont déçus, mais quelle que soit leur réaction, on est forcément touchés, en tant que juriste, par les situations rencontrées. Tous les mois à Droits d’Urgence, nous, juristes, participons avec un psychothérapeute à un temps d’analyse des pratiques, ce qui nous permet d’exprimer nos ressentis par rapport aux situations qui nous touchent particulièrement, et de construire un lien avec chaque personne rencontrée. Ce qui nous tient à cœur, c’est surtout l’humain, mais aussi le droit, qui permet de donner un cadre et dire ce qui est en jeu dans notre métier : le respect des droits fondamentaux. La démarche juridique et administrative permet de rétablir un lien avec l’institution et la société, que les personnes les plus démunies ont très souvent interrompu.

(Pour s’informer davantage sur les actions de Droits d’Urgence, à travers ses points d’accès au droit, y compris en établissement pénitentiaire, le bus de la solidarité, la plateforme droitdirect.fr, etc. : www.droitsdurgence.org).