Projets humains ou plan divin ?
Nous sommes le 9 juin 1940, j’ai 15 ans, j’habite en banlieue rouennaise. Mon père observe la route du Havre et voit des motards militaires passer, qu’il pense être des Hollandais. Un quart d’heure plus tard, il sort sur le trottoir et revient précipitamment en larmes en disant : « Des soldats allemands ! Avec la croix gammée sur le char ! ». Ce fut une consternation incroyable ! L’occupation commençait…
Nous, les jeunes, que ferions-nous ?
Avec le temps, je compris vite que les yeux de toute ma famille étaient tournés vers celui qui avait dit non à l’armistice, le général de Gaulle, et vers les Anglais, ses alliés. Et pendant des années, nous avons attendu le Débarquement et la Libération qu’il amènerait avec lui. Les mois passaient bien trop lentement à notre goût, et nous échafaudions toutes sortes de projets pour l’après. Nous, les jeunes, que ferions-nous ? Certains, secrètement, se préparaient à s’engager dans l’armée après la Libération.
En août 1944, l’électricité vint à manquer suite à l’approche du front de Normandie. L’usine de métallurgie où je travaillais ferma ses portes. Mon dernier jour de travail, je pris bien soin de récupérer mes outils, décidé à ne plus revenir à l’atelier. En moi bouillonnait le désir de m’engager et de partir, moi aussi, pour poursuivre cette libération et la fin de la guerre. C’était mon but. Mais les choses furent bien différentes.
Le 31 août à 7 heures du matin, mon frère Daniel âgé de 16 ans traversa la cuisine en criant : « Ils arrivent !!! » Puis il disparut dans la rue. Je le rejoignis plus tard avec la foule pour acclamer nos libérateurs : les soldats de l’armée canadienne qui défilaient par centaines dans les véhicules de combat ! Quelle joie ! Quel enthousiasme ! Mais quelle imprudence aussi ! Mon frère fut percuté à mort par un camion tracté en remorque... Accident terrible... Pour moi, il n’était plus question de m’engager. Mon père se mourait à l’hôpital, et il y avait aussi un petit frère de 8 ans. Quand notre usine rouvrit ses portes, je repris ma place à l’atelier. Le travail, les retours le soir à pied ou en tramway, m’amenèrent quelque temps plus tard à rencontrer deux jeunes filles de notre groupe d’Union Chrétienne cherchant à retrouver deux militaires britanniques venus au culte à notre temple le dimanche précédent. Les militaires acceptèrent de se joindre à une soirée de jeunes chrétiens où je fus également invité. Un deuxième rendez-vous fut donné pour le réveillon du 24 décembre.
Après une longue soirée de jeux, de discussions, de chants, les jeunes se dispersèrent sauf 5 qui décidèrent de rester dormir sur place. Il était 5h du matin, c’était Noël. Je faisais partie de ces 5 et au moment de se séparer, une jeune fille proposa de prier ensemble. Ce qui fut accepté et cela, sur un tapis dans le salon de la maison qui nous accueillait.
Au culte de Noël, durant la Sainte Cène, je me consacrais à Dieu pour toute ma vie
Je n’avais jamais prié avec d’autres, et pour moi c’était un réel problème. J’attendais mon tour, c’est-à-dire le dernier. Ma prière fut plus qu’une prière : une véritable confession. Devant Dieu et devant tous, je déballais toute ma vie avec mon péché, mes errements, mes refus. Et enfin, dans ma prière, je m’abandonnais à Dieu pour faire sa volonté avec tout ce que cela impliquait de renoncements, de consécration totale de ma vie à son service. Là où Il le voudrait, et comme Il le voudrait. Je me relevais, ébloui, émerveillé, tout joyeux. Quelques heures plus tard, au culte de Noël, durant la Sainte Cène, je me consacrais à Dieu pour toute ma vie. À la sortie du culte, je refusai la cigarette qu’un camarade me proposait. Après avoir dit quelques mots de témoignage à d’autres, j’attendais, oui, j’attendais la vocation, l’appel au service. Et ce fut à l’Armée du Salut, mais cela est une autre histoire… Alléluia pour le pardon que Dieu m’a donné ce 25 décembre 1944, et pour le service béni qu’Il m’a offert par la suite.