Femmes victimes de violence : le temps de la reconstruction est long
En 2021 en France, 122 femmes et 23 hommes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire, et les inégalités et violences liées au genre n’ont cessé de se renforcer au fil des années. Face à ces enjeux, les missions confiées aux établissements sociaux ont été renforcées. Interview de Françoise Lefebvre, directrice adjointe de la Résidence Henri Durand, à Louviers, où plusieurs dizaines de personnes victimes de violences intrafamiliales sont accompagnées.
Comment les missions de la Résidence Henri Durand au service des femmes victimes de violences intrafamiliales se sont-elles développées au fil du temps ?
L'établissement a toujours accueilli des personnes victimes de violences conjugales et intrafamiliales (VIF). Toutefois, leur accompagnement n’était pas formalisé. Notre travail a commencé à se structurer en 2014, au moment où la Résidence Henri Durand a repris l'activité d'une petite association du territoire avec 20 places d’hébergement et réinsertion sociale pour des personnes victimes de violences intrafamiliales. Au fil des années, les équipes se sont formées et réorganisées ; tous les professionnels se sont formés, car nous faisions et continuons à faire le constat que nous accueillons un nombre bien plus important de victimes que de places dédiées. Notre objectif reste jusqu’à aujourd’hui de proposer la même prestation à tous. Aux vingt places ouvertes depuis 2014 se sont rajoutées en 2022 cinq places d’hébergement d’urgence VIF : ces vingt-cinq personnes au total sont accueillies en chambre individuelle ou en appartement ; il peut s’agir de femmes ou d’hommes seuls, ou de familles monoparentales. L'an dernier toujours, nous avons ouvert cinq places supplémentaires en diffus (hors de la Résidence), spécifiques pour des femmes (et leurs enfants) victimes de violences conjugales mais très autonomes, que nous accompagnons spécifiquement en matière de VIF.
Quelles sont les principales dimensions de l’accompagnement réalisé ?
L'accompagnement spécifique des personnes accueillies victimes de VIF est réalisé par quatre travailleurs sociaux (ce groupe change chaque année, comme je le disais, pour que toute l’équipe développe au fil du temps ses compétences), plus la psychologue. Cet accompagnement est complexe : écoute et écriture du parcours de violences, démarches à réaliser en matière médicale, juridique, dépôt de plainte, participation à des groupes de parole et des ateliers, etc. Les professionnels en charge de cet accompagnement spécifique sont par ailleurs pleinement intégrés aux réseaux partenariaux locaux : ils participent par exemple aux réunions de la cellule départementale VIF, organisée par la DDETS, à laquelle participent également les autres associations départementales, un représentant du Procureur, l'hôpital d'Evreux, et qui a pour mission d’étudier les situations VIF repérées sur le département mais non encore prises en charge. La Résidence Henri Durand, au nom de la Fondation, est d’ailleurs signataire du protocole VIF du département.
A la lumière de votre expérience, que peut-on dire de l’évolution des parcours de vie des personnes victimes de VIF ?
Je soulignerai tout d’abord que la « porte d'entrée » la plus adaptée reste l'hébergement d’urgence car les personnes victimes ont souvent besoin de pouvoir compter sur la réactivité des structures d’accueil pour franchir le pas et quitter leur domicile. Il faut aussi mesurer l’importance des relations collectives dans le parcours de ces personnes : nous menons par exemple un travail de sensibilisation de l’ensemble de nos résidents, par exemple en matière de comportements sexistes ; cette sensibilisation contribue à renforcer le sentiment de reconnaissance, chez les personnes victimes, de leur statut. Par ailleurs, la mixité au sein de la Résidence est un plus afin de travailler avec les personnes victimes sur le choix du conjoint, la prise de conscience, les comportements de mise en danger, etc. Enfin, le temps est une dimension particulièrement importante : les conséquences de ces violences, sans même parler des violences elles-mêmes, ne s’arrêtent pas une fois la séparation du couple effective. Le processus de reconstruction s’inscrit dans un temps long, et dépend aussi de l’environnement social, comme de la situation sociale globale de chacun.e.
Informations et données à consulter sur le site arretonslesviolences.gouv.fr