Former les citoyens de demain
Rachel Graffard est psychologue clinicienne depuis 1995, aux Enfants de Rochebonne (Saint-Malo) depuis 2003. Dans l’exercice de sa profession, Rachel Graffard témoigne d’une appétence pour le transversal qui s’exprime à la fois dans l’accompagnement des jeunes, mais aussi des parents. Depuis 8 ans, elle est membre du groupe national des ambassadeurs de la communication et de la participation adaptée pour les personnes accueillies et accompagnées.
Un des aspects de votre pratique professionnelle est l’aide sous contrainte. Pouvez-vous nous la présenter ?
Rachel Graffard : Dans l’accompagnement psychologique, il est souvent question d’une démarche volontaire mue par une demande d’aide, un désir d’accompagnement qui se manifeste. Dans un certain nombre de domaines quand même, il faut aider les gens malgré eux.
Les enfants, les parents, auprès desquels nous intervenons majoritairement, sont sous le coup de mesures judiciaires, donc de mesures d'aide, d'accompagnement sous contrainte. Il s’agit d’aider les personnes qui sont en difficultés, qu’il s’agisse des enfants et/ou des parents. C’est une approche globale qui s’exerce avec d’autres professionnels, en équipe.
Ce qui est important c’est d’apporter une aide, de faire avancer ces jeunes, ces adultes pour qu’ils prennent pleinement leur place dans la société. Je crois qu’il est possible d’aider les gens malgré eux sans qu'ils ne demandent quoi que ce soit. Cependant, il faut rester humble. Mais, c’est une forme de responsabilité qui s’exerce là, d’autant plus que nous sommes dans une société qui se métamorphose de manière accélérée.
Quel est votre regard sur l’accompagnement psychologue ?
R.G: Il y a une évolution à la fois dans les méthodes d’accompagnement et dans ceux qui accompagnent. Aujourd’hui, les professionnels ne sont plus les mêmes, l’investissement des professionnels n’est plus le même. Il y a une grande mobilité de ces derniers. Ce qui se comprend bien dans le contexte d’un monde qui change, qui évolue rapidement. Pour autant, cela a une incidence dans l’accompagnement.
Cela demande du temps, il faut gagner la confiance de ceux que nous rencontrons. Les enfants qui sont accueillis ont besoin de sécurité, de stabilité, d’un cadre pérenne. Ces changements, dans les équipes, compliquent donc l’accompagnement. Les familles auprès desquelles nous intervenons à domicile expriment aussi cette préoccupation et les jeunes en jouent aussi. Donc, on compense, on repense notre travail un peu autrement évidemment.
Vous accordez aussi une importance à la formation des professionnels. Quel est votre regard sur cette dernière ?
R.G: Les parents et les jeunes accompagnés présentent très souvent des troubles de l’attachement. Il me semble qu’aujourd’hui la formation ne prend pas, ou pas suffisamment en compte cette réalité. Il y a aussi d’autres registres insuffisamment traités que l’on peut travailler avec les familles et qui ne sont pas abordées en formation.
Par exemple, il manque des apports par rapport à la gestion des émotions, et également tout ce qui touche aux psychotraumatismes développés par les enfants ou/et les parents. C’est important d'avoir ces éléments pour bien accompagner ceux dont nous avons la responsabilité.
Il est aussi important de prendre en compte la question des familles recomposées et de la famille au sens large. Ce sont là des éléments qui me paraîtraient utiles à partager parmi les différents acteurs de protections de l’enfance (magistrats, psychologues, éducateurs, etc.). Aujourd’hui, la formation reçue est assez généraliste.
Affirmer les pratiques collectives auprès des enfants qui permettent de former les citoyens de demain
Quels changements voyez-vous dans l’évolution de votre pratique professionnelle ?
R.G : La question des besoins de l'enfant a évolué : nous avons à dépasser le registre des besoins physiques à pourvoir et évaluer la question des besoins fondamentaux universels des enfants . Tout comme, nous avons à protéger les enfants et évaluer la question du danger pour l’enfant.
Aller au-delà des besoins de l'enfant, c’est s’intéresser à l’enfance en danger. Nous avons aussi à accueillir et prendre en compte la diversité culturelle et la dimension spirituelle (c’est-à-dire la question du respect mutuel des valeurs, des croyances).
Aujourd’hui, la prise en charge individuelle ou personnalisée a beaucoup d’importance et le collectif un peu moins. C’était l’inverse, il y a quelques petites décennies. Nous sommes arrivés à deux extrêmes. Ce n’est pas simple de trouver un équilibre.
À mon sens, il faut affirmer les pratiques collectives auprès des enfants, auprès des parents qui viennent parler du vivre ensemble qui permettent de former les citoyens de demain, les parents de demain. Si l’on écoute les aspirations individuelles, nous sommes un peu perdus.
Parlez-nous du Café des Parents dont vous êtes référente depuis 2015 ?
R.G : C’est un lieu de soutien à la parentalité ouvert à tous les parents dont les enfants sont accueillis ou accompagnés par nos différents services, où ils peuvent venir échanger leurs expériences, leurs questionnements, leurs manières d’exercer leur parentalité. Il n’y a pas d’incidence sur leur dossier quant à leur participation. Au mieux, c’est souligné dans leur dossier comme point d’appui, d’avancement dans l’exercice de la parentalité.
Dans ce lieu, il est question, par exemple, des enjeux quant aux réseaux sociaux, au contrôle parental, à la gestion de l'agressivité, , au harcèlement, à la vie affective et sexuelle, aux manières d’être parent aujourd'hui, etc. Les parents partent enrichis. C’est important à souligner car ils sont souvent vulnérables, démunis, habités d’une forme de culpabilité. Il est donc complexe de les amener sur ces espaces de dialogue et de partage. Lorsque nous aidons les parents, nous contribuons à former les citoyens de demain.