Winnaretta Singer Polignac, une mécène de l’Armée du Salut des années 1920-1930

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Fruit d’un travail démarré dans les années 1990, la biographie de cette riche mécène de l’Armée du Salut en France a été publiée en français à l’été 2018. Interview avec son auteur, Sylvia Kahan, enseignante-chercheuse à la City University of New York et musicienne.

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Pour quelles raisons vous intéressez-vous depuis une trentaine d’années à cette « princesse, mécène et musicienne », comme le sous-titre la biographie dont vous êtes l'auteur, récemment parue dans sa version française ?

C’est mon travail de doctorante et de musicienne qui m’a au départ conduite, dans les années 1990, à la Princesse de Polignac, dédicataire de nombreuses compositions de Gabriel Fauré, Maurice Ravel, et d’autres musiciens de la fin du XIXème siècle. Ces fréquentes dédicaces ont aiguisé ma curiosité de pianiste et je me suis rapidement rendu compte qu’il n’existait pas, à l’époque, d’étude sérieuse sur elle. J’ai alors décidé de centrer ma recherche sur cette Winnaretta Singer-Polignac, héritière de la famille Singer et mariée au Prince de Polignac, une femme millionnaire à 11 ans, née aux Etats-Unis en 1863, dont la jeunesse s’est déroulée en Angleterre et la vie, principalement, à Paris. Au centre de cette vie, proche de l’univers proustien : la musique, les artistes et la « haute société ». Mais l’histoire européenne et mondiale des premières décennies du XXème siècle a progressivement amené la richissime Winnaretta Singer-Polignac à développer une autre dimension de sa vie, celle de mécène - bien sûr, mécène d’artistes, de compositeurs, mais aussi mécène dans d’autres domaines, comme l’action au service des personnes pauvres, grâce aux liens noués avec l’Armée du Salut en France.

Quel pouvait être le regard de Winnaretta Singer Polignac sur les rapports sociaux de son époque ?

Si cette héritière n’a pas élaboré et exprimé de regard critique sur la situation sociale de son époque, on peut avancer plusieurs influences dans son parcours, et tout d’abord, celle de son père, l’industriel Isaac Singer, qui, tout en étant devenu immensément riche, n’avait jamais cessé de faire preuve de générosité. Il avait par exemple fait construire des habitations pour les ouvriers à Paignton, le village anglais où la famille Singer vivait, en 1873-1874. Autre influence, celle-ci indirecte, qui a compté pour Winnaretta : la haute société française. Parce qu’elle y a vécu l’essentiel de sa vie tout en étant tenue à l’écart (elle venait des Etats-Unis, elle aimait les femmes, elle soutenait les suffragettes anglaises), elle a cherché à porter des projets pour se faire reconnaître. Dès les années 1910, elle avait par exemple acheté un terrain dans le 13ème arrondissement de Paris pour y faire construire des habitations pour les ouvriers, en faisant appel à un jeune architecte, Georges Vaudoyer, qui travaillait par ailleurs pour des familles fortunées.

Comment Winnaretta Singer Polignac est-elle devenue mécène de l’Armée du Salut en France ?

Même « à l’abri » de son milieu, Winnaretta Singer-Polignac n’est pas restée aveugle aux bouleversements liés aux années de guerre puis aux tensions sociales croissantes, dans les années 1920, en France comme aux Etats-Unis et dans les autres économies riches. J’ai par exemple repéré une correspondance des années 1920 dans laquelle elle évoque, lors d’un voyage aux Etats-Unis (elle voyageait beaucoup), les baraquements de pauvres qu’elle pouvait voir le long du chemin de fer qui la ramenait vers New York. C’est elle, probablement, qui a contacté Albin Peyron, commissaire de l’Armée du Salut en France à l’époque, mais il n’y a pas de traces de cette prise de contact. En 1926, elle accompagna et finança le projet de reprise, par l’Armée du Salut, du bâtiment qui allait devenir le Palais de la femme, dans le 11ème arrondissement de Paris. Puis, faisant le lien entre son soutien mécène et son intérêt intellectuel et ses réseaux en architecture et urbanisme, elle participa également à l’extension du Palais du peuple, toujours à Paris, et c’est elle qui a décidé l’Armée du Salut à faire appel à Le Corbusier pour le projet architectural. D’autres importantes réalisations ont suivi, tout particulièrement la construction de la Cité de Refuge, à Paris 13ème, au début des années 1930, avec toujours Le Corbusier comme architecte. Au total, je pense qu’on peut dire que Winnaretta Singer-Polignac fut, à cette époque, la principale mécène de l’Armée du Salut en France.

Comment décririez-vous la personnalité de Winnaretta Singer Polignac ?

Ce qui transparaît de toutes les archives à partir desquelles j’ai travaillé, en particulier celles familiales, est une personnalité très organisée, volontaire. En même temps, Winnaretta a mené à bien un très grand nombre d’initiatives en toute discrétion, sans du tout se mettre publiquement en avant. Le soutien qu’elle a apporté à l’Armée du Salut en France reflète ces traits : elle cherchait à « faire du bien » et la confiance qu’elle a dû éprouver à l’égard de cette Armée (et l’inspiration « militaire » de l’organisation caritative a dû contribuer à cette confiance) s’est cristallisée sur Albin Peyron, le responsable à l’époque, à la personnalité charismatique. Cela dit, je pense que pour se représenter le mieux qui a été Winnaretta Singer Polignac, c’est par la musique qu’il faut passer, celle qu’elle a promue, jouée, aimée.

 

Winnaretta Singer-Polignac, Princesse, mécène et musicienne. Éditions les presses du réel, 2018.

Nos remerciement à Sylvia Kahan pour cette interview réalisée entre juillet et novembre 2018.