Une journée avec les exilés des campements du nord de Paris
Nous avons suivi pendant une journée les exilés des campements du nord parisien et vous proposons de découvrir le réseau d’entraide mis en place pour offrir le minimum à ceux qui vivent dehors. Un petit déjeuner, un moment de répit, des conseils, une adresse où consulter un médecin et la rencontre d’avocats pour les aider à avancer dans leurs démarches administratives. Reportage.
Des viennoiseries, des petits sandwichs sont disposés sur une table avec du thé ou du café et un peu plus loin des kits d'hygiène. A la porte de Saint-Ouen, à la frontière avec Paris, la Fondation de l’Armée du Salut assure la distribution des petits-déjeuners, tous les matins de 9h30 à 11h30. Chaque bénéficiaire se sert avant d’aller s’attabler. Là commencent les échanges. Sylvain, coordinateur de l'équipe bénévoles pour la Fondation de l’Armée du Salut à la porte de Saint-Ouen, engage la conversation. En arabe d’abord, en anglais ensuite. « Nous identifions les besoins des personnes et les conseillons et orientons vers les dispositifs adaptés à leur situation. Nous les encourageons à venir à la Halte humanitaire dont nous disposons dans le centre de Paris, pour bénéficier d’un suivi social et de consultations avec un médecin ou un psychologue », explique-t-il.
Cette Halte humanitaire de la Fondation de l’Armée du Salut s’est installée dans l'ancienne mairie du Ier arrondissement. Elle offre « la possibilité à celles et ceux qui ont fui leur pays de souffler un peu et d’être accompagnés dans leurs démarches d’insertion », souligne la cheffe de service et responsable de la Halte, Marie. Les personnes peuvent bénéficier de consultations médicales gratuites, d’un suivi psychologique, d’un accompagnement social et administratif et suivre des cours de français. « Ces personnes sont orientées vers la Halte par les maraudes allant qui vont à la rencontre de ces publics en difficulté, pour leur proposer une aide ».
Porte de Saint-Ouen :
200 petits-déjeuners servis tous les matins
Retour Porte de Saint-Ouen, dans le nord de Paris, où bénévoles et salariés de la Fondation de l’Armée du Salut s’activent pour échanger et orienter les personnes le temps d’un petit-déjeuner. Chaque jour, ce sont en moyenne 200 personnes qui viennent ainsi prendre le premier repas de la journée.
Originaire du Soudan, Khalid, 30 ans est salarié du dispositif. Il va à la rencontre de Majoob, 29 ans, qui vit dans un squat à Paris. « Je suis dubliné », dit ce dernier entre deux gorgées de thé. Majoob fait partie de ces migrants qui ont dû déposer une demande d’asile dans un autre pays et vivent sous la menace d’y être reconduits. Une situation qui les place en grande précarité.
Des millions de personnes vivent dans la grande précarité en France et les bénéficiaires des petits-déjeuners de la porte de Saint-Ouen mettent un visage sur ces chiffres. Ici, tous les parcours de vie s’entrecroisent : des réfugiés, des femmes avec de faibles revenus, des personnes reconnues handicapées qui ont perdu leurs allocations, des hommes qui ont basculé dans la précarité à cause de la Covid. Leur monde baigne dans un halo de troubles et d’angoisses.
Des personnes à la rue, sans ressources
Un groupe de mineurs étrangers arrivés seuls en France est venu prendre un petit-déjeuner, ce matin-là. « Nous attendons notre audience », indique un jeune, une tartine à la main. Lui comme d’autres de ses « amis » vit à la rue, « sous des tentes, quelle que soit la météo », le temps de l’évaluation de leur situation.
C’est l’heure de partir pour Majoob, Khalid encourage son compatriote à se rendre à la Halte et l’invite à venir à la permanence juridique du vendredi. « Nous donnons des tickets de métro aux personnes qui n’ont pas de ressources pour qu’elles puissent s’y rendre. Nous leur remettons également un flyer avec l’adresse de la Halte et un guide de l’association Watizat, un document mensuel rédigé en arabe, en pachtoune et en anglais, qui répertorie toutes les informations utiles aux personnes exilées vivant à la rue », détaille Khalid.
Vendredi, Majoob n’est pas venu à la permanence juridique. Mais plusieurs demandeurs d’asile et migrants dans une situation similaire et récemment arrivés en France sont présents : dublinés, à la rue, sans ressources.
La demande d'asile : un chemin semé d’obstacles
Il est 14 heures, porte d’Aubervilliers, dans le nord de Paris. Un ancien car transformé en « Bus des avocats » est garé sur le trottoir. Comme chaque vendredi, entre 14 heures et 17 heures, la « permanence délocalisée » des avocats spécialisés dans le droit des étrangers et le droit d’asile du barreau de Paris accueille en moyenne 40 personnes. Cette consultation gratuite est inscrite dans la durée, « nous assurons ce service toute l’année depuis plus de 10 ans », explique une avocate. Le service est délocalisé dans le jardin Anaïs Nin, dans le 18ème arrondissement de Paris. Ce jardin est proche des lieux fréquentés par les personnes qui recherchent une aide administrative ou judiciaire.
A l’extérieur, la file d’attente se densifie comme les nuages noirs dans le ciel. Aux côtés des femmes et hommes qui patientent sous les arbres du jardin, gravitent des bénévoles et salariés de la Halte humanitaire de la Fondation de l’Armée du Salut. « Ici comme à la porte de Saint-Ouen, nous distribuons des flyers pour orienter les personnes vers la Halte humanitaire afin qu’elles puissent être aidées », évoque un des deux bénévoles. Jamil est le deuxième bénévole qui, en plus d’écouter les demandeurs d’asile dans le jardin, remplit également le rôle d’interprète dans le bus auprès des avocats.
D’Afghanistan, du Soudan, du Maroc, des pays d’Amérique latine ou de Syrie, lorsqu’une personne arrive en France, elle doit passer par plusieurs étapes avant l'obtention éventuelle du statut de réfugié. Et le chemin est semé d’obstacles.
« Une association m’a dit que je pouvais bénéficier du dispositif ‘Conditions matérielles d’accueil (CMA)’ », explique une jeune femme soulagée d’être en face d’une avocate bienveillante. Ce dispositif est destiné aux demandeurs d’asile et leur garantit, en théorie, une allocation mensuelle, un hébergement décent et un accompagnement administratif et juridique. « Cela fait plusieurs mois que j’attends une réponse de la préfecture et aujourd’hui je suis encore devant le bus des avocats pour débloquer ma situation », s’agace un demandeur d’asile qui est sans ressources et sans-abris. Un certificat de nationalité délivré au Soudan, la traversée de la Méditerranée en bateau ou les quelques mois passés sous le métro aérien ou les rocades du périphérique parisien, tous ces moments de sa vie sont glissés dans une enveloppe, entre les courriers et formulaires administratifs soigneusement pliés.
« Bienvenue à la Halte »
La consultation est confidentielle et dure en moyenne entre 10 et 15 minutes. « Pour certaines situations administratives et juridiques, nous formulons auprès du barreau une demande d’autorisation de droit de suite pour que nous nous occupions personnellement de leur dossier », rappelle un des trois avocats.
En sortant du bus, les angoisses de la vie à la rue refont surface : où se loger ? Où manger ? Où se laver ? Devant le bus des avocats, Jamil apporte une première réponse en tendant ce fameux flyer d’orientation où est écrit en anglais, en arabe et en pachtoune « Bienvenue à la Halte ».
Mayore Lila Damji