Des hôtels transformés en centre d’hébergement : découvrez comment des familles sont mises à l’abri par l’Armée du Salut
En détresse. Vulnérables. Sans domicile. Ce sont des femmes, des enfants et des hommes isolés. Plus de 600 personnes sont accueillies actuellement par la Fondation de l’Armée du Salut dans des hôtels franciliens. Tous les jours, nos équipes sociales les épaulent dans leur combat contre la précarité. Au cœur de l'hiver, elles ont un toit mais nourrissent l'espoir d'avoir un jour un logement. Reportage.
« Trouver sa chambre, c’est facile » peut-on lire sur une plaque près de l’ascenseur. « Le petit-déjeuner comme à la maison » affiché dans le réfectoire de l’hôtel. Le B&B Hôtel Paris Est Bondy (Seine-Saint-Denis) a encore gardé des traces de sa vie avant le Covid.
Au 1er étage, au 2ème ou au dernier étage de cet hôtel qui en compte 7, les mêmes profils se croisent dans les couloirs ou ascenseur : des mères seules avec leurs enfants, des femmes seules, des hommes isolés parfois gravement malades. Certains sans ressources ; tous sans logement.
« Depuis mars 2020, l’hôtel a accueilli 200 personnes qui vivaient déjà dans la précarité avant le Covid. La crise sanitaire et les confinements successifs ont aggravé leur situation précaire », raconte Dieudonné, chef de service de la Fondation de l’Armée du Salut qui gère cet hôtel devenu CHU, centre d’hébergement d’urgence.
53 000 personnes accueillies en hôtel en région parisienne
Ces personnes ont toutes connu les mises à l’abri dans les gymnases, la vie dans les squats ou la rue. Aujourd’hui, elles seraient au total en région parisienne 53 000 à être accueillies en hôtel.
Aminata a 29 ans. Elle est accueillie dans l’hôtel depuis mars 2020 : « J’ai quitté mon pays pour des raisons économiques et sociale. Dès mon arrivée en France j’ai dû vivre dans un squat insalubre. Aujourd’hui, j’ai une fille de 6 mois et nous sommes bien accompagnées et suivies par l’équipe de la Fondation de l’Armée du Salut ». L’équipe du est composée de deux travailleurs sociaux, une coordinatrice et un chef de service.
Dès les premiers mois de la pandémie, l’équipe sociale a fait intervenir la Croix-Rouge pour organiser des permanences de santé pour les résidents. Mais pour les personnes accueillies, en pleine crise du coronavirus, c’est l'arythmie pour les accès aux soins. « Elles accordent une place importante à leur santé et sont conscientes que leurs conditions de vie influent négativement sur leur santé, ce qui les préoccupe mais cette préoccupation ne se traduit pas de manière systématique par le recours aux soins ou l’adoption de comportements favorables à la santé car ces personnes sont soit éloignées des services de santé, soit elles n’ont pas les moyens financiers ou elles méconnaissent le système de santé ou bien elles privilégient l’accès au logement ou à l’emploi », explique Dieudonné, qui exerce dans le milieu social depuis 2012.
La santé des personnes accueillies, préoccupation majeure
Un accent important est donc mis sur l’accompagnement sanitaire des personnes accueillies. « Nous avons fait appel à des professionnels de la santé pour accompagner et encourager les personnes souffrant d’un cancer par exemple et qui n’ont aucun suivi à consulter les médecins et les spécialistes », détaille l’équipe sociale de l’établissement.
En plus d’une présence renforcée des professionnels de la santé, le centre a également ouvert ses portes à des avocats pour épauler les travailleurs sociaux dans le traitement des dossiers des personnes accueillies et ouvrir des droits notamment auprès des permanences d’accès aux soins de santé (PASS). Ces permanences sont des cellules de prise en charge médico-sociale, qui doivent faciliter l’accès des personnes démunies non seulement au système hospitalier mais aussi aux réseaux institutionnels ou associatifs de soins, d’accueil et d’accompagnement social.
« Je suis dubliné donc je n’existe pas ! », martèle Aliasgar assis sur son lit de la chambre 212 qu’il partage avec deux autres réfugiés. Arrivé en France en 2020, cet Afghan de 29 ans a connu un parcours migratoire qui a duré plus de 5 ans. « J’ai été 2 ans en Suède, 3 ans en Allemagne et maintenant la France. J’ai vécu plusieurs semaines sous les tentes autour de Paris et quelques mois dans les centres d’hébergement d’urgence ». En 2020, il est arrivé dans cet autre hôtel transformé en hébergement d’urgence, à La Villette, près de Paris. Depuis avril 2020, 275 personnes sont accueillies qui ont le même profil que les personnes accueillies à Bondy. Dans cet hôtel de 9 étages, 3 travailleuses sociales accompagnent les résidents.
« L’hôtel est inadapté à la vie de famille »
A 27 ans, Manon est déjà à sa 6ème année d’expérience dans le domaine social et humanitaire. Après avoir fait ses armes dans le milieu de l’enfance (maisons d'enfants à caractère social (MECS)) et le handicap (maison d’accueil spécialisée (MAS)), elle accompagne aujourd’hui les familles, les couples et les mères isolées qui se retrouvent avec leurs enfants dans un centre d’hébergement d’urgence. « L’hôtel est inadapté à la vie de famille et ne permet pas de répondre aux besoins fondamentaux des enfants qui y vivent », explique-t-elle. Ici, il n’est pas aisé d’avoir une alimentation équilibrée, une prise en charge médicale, de l’intimité ou encore de scolariser les enfants à proximité et de leur permettre de faire leurs devoirs dans le calme. Manon vu dans cet hôtel des enfants de 10 ans qui ont grandi dans les hôtels. Ce ballottage d'hôtel en hôtel, parfois à des kilomètres, a des conséquences sur l'insertion des familles : comment alors trouver un emploi stable ? Assurer une scolarité stable pour les enfants ? Avoir un accompagnement social stable ?
Dans le nord de Paris, la Fondation de l’Armée du Salut a ouvert en 2021 un troisième CHU dans un hôtel laissé vacant par les touristes et les professionnels et transformés en « Hôtels-CHU ». « Nous sommes sur le point de fermer ce dispositif qui a accueilli depuis février 2021 100 hommes isolés. Le plus jeune avait 19 ans et le plus âgé 78 ans. C’étaient essentiellement des travailleurs pauvres dont certains souffraient d’addiction et de graves problèmes de santé mentale », raconte Kheira, cheffe de service du CHU « Hôtel d’Amiens » situé à deux pas de la gare du Nord. A 55 ans, Souleyman (le prénom a été modifié) vit de petits boulots. Faute d’hébergement il a dû dormir à la rue avant d’enchaîner plusieurs CHU. « Je travaille dans les entreprises de nettoyage et mon salaire ne me permet pas de payer un loyer. En plus, je suis positif au VIH. Je dois faire attention à ma santé », explique-t-il.
Une précarité aggravée depuis la crise Covid
Troubles de la personnalités, accès de violences, ils sont nombreux à avoir une santé mentale ou physique fragilisée par de nombreuses semaines, mois voire des années à la rue. « Avec l’équipe sociale du CHU « Hôtel d’Amiens » nous avons mis en place grâce au groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences des permanences animées par des psychiatres, une infirmière et un éducateur. Et Gaia Paris, une association médico-sociale spécialisée dans le soin en addictologie et la réduction des risques liés à l'usage de drogues, est intervenue régulièrement pendant douze mois pour suivre les résidents du centre d’hébergement », détaille Kheira.
Sans-abrisme, chômage, graves problèmes de santé, addictions liées à la précarité dessinent le portrait de cette précarité qui a explosé à cause de la crise du coronavirus. Une précarité qui pèse sur la vie quotidienne de l’ensemble des femmes, d’enfants et d’hommes vivant dans ces hôtels transformés en hébergement d’urgence. Une vie sociale, familiale, sanitaire et scolaire affectée. Un avenir fragilisé et une insertion professionnelle perturbée. C’est la double peine. Surtout pour les plus jeunes d’entre eux.
Mayore Lila Damji