Immigration et asile : Plaidoyer politique inter-associatif
Les associations, qui travaillent au quotidien à l’accueil et l’accompagnement de toutes les personnes en situation de précarité sont aujourd’hui très inquiètes des orientations annoncées par le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » présenté en Conseil des ministres le 21 février 2018.
Effectivement, nos associations portent des valeurs fortes d’humanisme et de solidarité comme fondement de la cohésion sociale, s’appuyant sur une éthique associative construite à partir de la primauté de la personne.
C’est dans ces valeurs de solidarités, de respect des droits fondamentaux et notamment du droit d’asile, d’accueil inconditionnel et de respect de l’autre et de sa différence que nous nous devons d’accueillir toutes les personnes en difficulté présentes sur le territoire, quel que soit leur choix de vie, leur âge, leurs difficultés sociales, leurs problématiques de santé, leur nationalité ou leur situation administrative.
Cet accompagnement n’est possible qu’à travers l’instauration d’un climat empreint de confiance et de non-discrimination, que les associations se doivent de garantir.
Or, aujourd’hui le système d’accueil est pensé à l’envers, en multipliant les dispositifs d’accueil temporaires et sélectifs en dehors de toute rationalité, sans prendre en compte ni les besoins ni le parcours des personnes. Dans ce contexte, les travailleurs sociaux et les associations tentent de s’adapter à des injonctions souvent paradoxales, parfois contraires à leur déontologie et qui refusent de reconnaitre l’évidence : une intégration qui doit être pensée le plus en amont possible.
Les annonces du projet de loi « pour une immigration maitrisée et un droit d’asile effectif » nous font ainsi craindre un réel recul pour les droits des personnes et l’évolution du travail social. Il nous semble fondamental que certaines mesures soient amendées ou supprimées dès lors que, sous prétexte de fluidité, elles remettent directement en cause nos missions d’accompagnement, d’hébergement et de logement en ignorant ce que nous voyons au quotidien : des parcours de vie, des histoires individuelles ainsi que des vies gâchées et mises en danger par l’absurdité du système.
1 - Les atteintes aux libertés fondamentales
Le texte actuellement en discussion pose des difficultés en matière de respect des droits fondamentaux.
1-1 : Il s’agit, tout d’abord, d’un affaiblissement du droit d’asile par le biais notamment d’une disposition permettant de priver les demandeurs d’asile des conditions matérielles d’accueil1. En renforçant l’orientation directive, le projet de loi prévoit que les demandeurs d’asile seront orientés selon un schéma national d’accueil vers une région déterminée en fonction de la part des demandeurs d’asile accueillis, de leur situation personnelle et familiale, de leur vulnérabilité, mais sans aucune garantie quant à une offre effective d’hébergement, c’est à dire une offre localisée dans un hébergement déterminé. De plus, des problématiques de transport peuvent exister dans ces territoires et rendre difficile l’accès aux dispositifs pour les demandeurs d’asile, notamment pour des demandeurs d’asile qui ne perçoivent pas encore leur allocation.
Sans résoudre le problème de la pénurie de places d’hébergement, cette situation ne fera que reconstituer des bidonvilles et habitats de fortune. Le texte doit évoluer pour rendre obligatoire la proposition d’une offre effective, concrète et localisée d’hébergement pour l’ensemble des demandeurs d’asile.
Ces dispositions prévoient également que, bien que sans hébergement garanti, les conditions matérielles d’accueil seront retirées si le demandeur d’asile quitte la région assignée sans autorisation. Tout en remettant en cause le droit à la libre circulation, cette disposition revient à leur supprimer immédiatement leur allocation pour demandeur d’asile, alors que ces personnes seront sans hébergement et condamnées à rester à la rue avec leur enfants pour certains d’entre eux. L’accompagnement de ces demandeurs d’asile, dans ce contexte, se verra encore une fois amoindri et l’accès aux travailleurs sociaux et aux bénévoles, rendu plus difficile. En effet, ces demandeurs d’asile relèveront d’un accompagnement par la plate-forme d’accueil pour demandeurs d’asile (PADA), largement sous dotée en moyens d’accompagnement (1ETP pour 700 demandeurs d’asile parfois) pour réaliser un travail de qualité et garantir un accompagnement adapté.
L’application stricte de cette disposition sans garantie d’accès à un hébergement pourrait ainsi priver chaque demandeur d’asile d’un hébergement, d’une allocation et d’un accompagnement, en contradiction avec les textes européens sur l’asile, notamment la directive 2013/33/UE établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale du 26 juin 2013.
De la même manière, le texte conditionne le bénéfice d’un hébergement et de l’allocation pour demandeur d’asile « au respect de l’ensemble des exigences des autorités chargées de l’asile », sans définir précisément ce que ces exigences recouvrent, laissant une interprétation très large à l’autorité administrative. Là encore, dans ces situations, le demandeur d’asile se verra immédiatement retirer de plein droit son hébergement et son allocation.
L’impact du renforcement de l’orientation directive sur les personnes :
Une personne en demande d’asile qui introduirait sa demande d’asile dans une région spécifique, où elle aurait du soutien associatif, familial, amical ou encore communautaire, pourrait être orientée vers une autre région sans garantie d’hébergement. Arrivée dans cette région, cette personne pourrait ne pas se voir proposer d’hébergement et alors décider de retourner dans la région où elle a demandé l’asile et où elle pourra trouver un minimum de soutien. Dans ce cas, ses conditions matérielles d’accueil, et notamment son allocation pour demandeur d’asile et la possibilité de se voir proposer un hébergement lui seront retirées.
1-2 : Le projet de texte porte également atteinte au droit fondamental à ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant. L’augmentation de la durée de la rétention de 45 à 135 jours maximum est une mesure dégradante et inefficace. L’ensemble des associations intervenant en rétention témoignent du fait que 90% des personnes sortent de rétention dans les 12 premiers jours. Elles sont également unanimes pour dénoncer les effets d’une rétention prolongée, notamment auprès des enfants, encore présents en centre de rétention, malgré les cinq condamnations de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme et les recommandations faites à la France par le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies.
Cet allongement des délais est non seulement contraire à la liberté fondamentale d’aller et venir, mais risque également d’entrainer de lourds traumatismes, notamment d’ordre psychologiques, chez ces personnes ; on a déjà malheureusement noté des passages à l’acte, avec la multiplication d’actes d’automutilations, de tentatives de suicides et de mise
en danger de soi, y compris en présence d’enfants.
De la même manière, la multiplication des intimidations, du harcèlement policier et des poursuites judiciaires envers es personnes qui offrent aux exilés leur assistance est inacceptable. Les exilés sont aussi victimes des filières et des passeurs, des trafics et de traite des êtres humains que la police et la justice doivent combattre. Aux frontières nationales ou dans les habitats de fortune, des pratiques policières sont également intolérables. Or nombreuses sont nos associations qui témoignent au quotidien du harcèlement policier auprès des exilés qui ne sont victimes que d’une seule faute: celui d’avoir cru que la France et l’Europe pourraient leur accorder une protection. Le projet de loi n’envisage pourtant pas de remédier à ces situations en supprimant définitivement les différents motifs juridiques permettant de considérer les actes de solidarités comme des délits. Il continue, par la même, à remettre en cause notre devoir de solidarité envers les plus démunis, quand dans le même temps, le gouvernement incite les citoyens à s’engager, à travers le bénévolat ou le volontariat (au travers par exemple du compte d’engagement citoyen).
Un délit de solidarité et des harcèlements policiers qui continuent d’exister…
Les personnes qui se retrouvent exclues de dispositifs publics de plus en plus coercitifs et en marge des règlements européens qui ne prennent pas en compte leurs souhaits, sont souvent livrées à elles-mêmes et au soutien de réseaux de solidarité associatifs ou communautaires. Ceux-ci sont régulièrement en proie aux attaques de la police. A Calais, les harcèlements policiers contre les exilés sont documentés5. Récemment plusieurs associations ont porté plainte contre X pour dégradation de tentes et de duvets qui leur appartenaient et qu’elles avaient prêtés à des personnes exilées à la rue.
2. Les restrictions à l’accès aux droits et à la procédure d’asile
2-1 : Les dispositions du projet de loi relatives à l’asile et l’immigration sont centrées essentiellement sur la réduction des délais de procédure. Les objectifs affichés par le gouvernement sont ceux de l’amélioration de l’efficacité du dispositif, de la fluidité de l’hébergement pour demandeurs d’asile et un meilleur éloignement des déboutés ou demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin. Dans le contexte actuel, cette accélération des procédures revient néanmoins à réduire fondamentalement les droits des demandeurs d’asile et de leurs familles en leur retirant des garanties nécessaires à la reconnaissance de leurs besoins de protection.
En obligeant l’OFPRA et la CNDA à réduire la procédure d’asile à six mois, de graves entorses à l’accès aux droits et à la procédure en découleront et auront des conséquences fortement préjudiciables pour les personnes, le respect de la procédure mais aussi pour le travail social. Il s’agit notamment de la réduction des délais de recours de 30 à 15 jours pour saisir la CNDA, de l’accélération des délais de convocation et de la notification de la décision de l’OFPRA « par tout moyen » qui pourra ainsi se réaliser par SMS ou mail.
Cet objectif de réduction des délais aura un impact sur l’accès à la protection dans un contexte où seul un demandeur d’asile sur deux est hébergé dans le dispositif national d’accueil et qu’aucune disposition de la loi ne vise à la mise en place d’une loi de programmation de places d’hébergement ou de logement. Rappelons que les délais d’accès à la procédure d’asile restent le problème central des demandeurs pour accéder à leurs droits6 et que l’OFPRA et la CNDA statuent déjà dans un délai moyen de 8 mois. Ces inquiétudes ainsi que le manque de moyens conduisent d’ailleurs les salariés de ces institutions à engager des mouvements de grève.
La mise en oeuvre de ces modalités se réalisera sans aucun renforcement des missions d’accompagnement social et d’hébergement pour les demandeurs d’asile. En effet, les PADA (en charge de l’accompagnement des demandeurs d’asile non hébergés, souvent à la rue) ne pourront pas accompagner les personnes convenablement dans ces délais aussi contraints, sauf à renforcer considérablement leurs moyens ou d’héberger l’ensemble des demandeurs d’asile. Pour ces raisons, la réduction des délais aura comme conséquence de rendre très difficile la reconnaissance de leur besoins de protection. Si l’accélération des délais d’instruction de la demande d’asile peut être un objectif légitime, il ne peut pourtant être réalisé au détriment la garantie des droits et à une procédure équitable qui ne peut être assimilée à une procédure expéditive, surtout quand des vies sont en jeu. Dans un contexte de pénurie de places d’hébergement et de morcellement des parcours, de la multiplication de dispositifs qui ne permettent pas d’accompagner convenablement l’ensemble des demandeurs d’asile, ces dispositions contreviennent ainsi à l’objectif initial d’amélioration de la procédure.
Il est pourtant indispensable de prendre le temps si l’on veut répondre à des besoins individuels. L’accompagnement ainsi que l’ensemble du dispositif d’accueil doivent être repensés dans cette perspective.
Les conséquences de la réduction des délais pour les personnes
La réduction des délais de l’OFPRA à 2 mois d’instruction implique pour les demandeurs d’asile d’accélérer leur convocation à l’entretien. Les demandeurs d’asile seront ainsi convoqués pour leur entretien une semaine après le dépôt de leur dossier. Ces délais rendent impossible la préparation de cet entretien voire même l’organisation de son voyage pour se rendre à Paris (réunir l’argent, trouver un hébergement…). Dans certains cas, si la plate-forme de premier accueil ne délivre pas quotidiennement le courrier, certains demandeurs d’asile n’auront accès à cette information qu’après la date de l’entretien à l’OFPRA, amenuisant largement leurs chances de faire reconnaitre leur statut quand on connait l’importance de l’entretien à l’OFPRA dans la procédure.
Ensuite, un demandeur d’asile pourra désormais se voir notifier par sms ou mail une décision de rejet suite à son entretien OFPRA. Elle devra être en mesure de comprendre le contenu de cette annonce, et de présenter dans un délai de 15 jours un recours. Il sera pourtant excessivement difficile, dans un délai si court, pour des personnes ne maitrisant pas le français, accompagnées par des associations manquant de moyens, n’ayant pas toujours de réseau propre de comprendre l’urgence à déposer un recours. Même dans ce cas, ce délai de 15 jours ne permettra pas de réunir les pièces suffisantes, souvent envoyées de l’étranger, de creuser les récits, parfois douloureux, pour donner toutes les chances à ce recours d’aboutir.
Les conséquences du projet de loi sur les victimes de la traite des êtres humains
La situation des victimes de traite des êtres humains, qui était de mieux en mieux prises en compte par l’OFPRA depuis
sa réorganisation, risque de se dégrader dans le contexte de la nouvelle loi. Nombre d’entre elles sont arrivées en Europe par l’Italie et risquent donc d’être renvoyées dans ce pays où l’hypothèse de « recaptation » par le réseau est forte. Ce danger est encore plus fort pour les victimes qui n’ont pas pu faire appel à l’accompagnement d’une association.
Pour celles qui sont arrivées en France, les réseaux d’exploitation leur font généralement déposer une demande d’asile avec un récit qu’ils dictent aux victimes, souvent rejeté par l’OFPRA. Les associations accompagnent alors à une demande de réexamen, avec un travail sur le récit de vie. Ce travail est particulièrement difficile, puisqu’il fait revivre les nombreuses violences subies. La réduction des délais est une violence supplémentaire.
De même, les réseaux, très fréquemment, confisquent les documents d’identité, imposent aux victimes de faux papiers. Les mesures contenues dans la loi sur la fraude à l’identité risquent de ne pas laisser le temps aux victimes de prouver que ces faux papiers leur ont été imposés.
En bref, certaines mesures de la loi risquent de favoriser les réseaux d’exploitation qui pourront développer des stratégies de déplacement des victimes et s’appuyer sur leur situation administrative comme moyen supplémentaire d’emprise.
Les conséquences du projet de loi sur les femmes victimes de violences
Le projet de loi introduit de nouveaux obstacles à l’obtention de titres de séjours durables pour de nombreuses femmes.
La délivrance d’une carte de résidente aux étrangères victimes de violences de la part de leur conjoint, concubin ou partenaire de PACS, actuellement possible si celui-ci est condamné définitivement, serait désormais subordonnée en sus à l’obtention d’une ordonnance de protection. En subordonnant l’accès à un titre de séjour durable à une condamnation de l’auteur des violences couplée d’une ordonnance de protection, ce texte ignore la réalité des parcours juridiques liés aux violences conjugales. Les dépôts de plaintes se soldent encore trop souvent par un classement sans suites et l’obtention d’une ordonnance de protection peut être complexe compte tenu des disparités territoriales. De plus, les titres de séjour de ces femmes dépendent souvent de leur lien avec l’auteur des violences, ce qui les oblige
à choisir entre la perte de leur droit au séjour ou leur réexposition aux violences. Un réel accès à des titres de séjour
durables grâce à un faisceau d’indices (à titre d’exemples : certificat médical, attestation d’une association ou de professionnel/professionnelles, dépôt de plainte…) en dehors de la condamnation de l’auteur permettrait de sécuriser leurs parcours.
2 - 2 : Le projet de loi vise par ailleurs un éloignement massif des demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin. Un certain nombre de dispositions sont liées à la proposition de loi adoptée parallèlement le 15 février 2018 sur la bonne application du régime d’asile européen qui légalise notamment la rétention des demandeurs d’asile placés sous cette procédure. En visant massivement l’éloignement des demandeurs d’asile sous procédure Dublin vers des pays qui ne sont pas en mesure de les accueillir et ce, quel que soit les souhaits des personnes, ces textes préfigurent une absence de solidarité nationale à l’égard de certains pays européens.
Ces textes permettront le placement des demandeurs d’asile sous procédure Dublin en rétention pendant la procédure de détermination de l’Etat responsable de leur demande, alors même que ces demandeurs d’asile ne sont pas en situation irrégulière. Cela sera le cas aussi lorsqu’ils ne pourront justifier d’un lieu de résidence effective et permanent alors même que l’Etat ne leur aura pas proposé de solution d’hébergement et que l’allocation pour demandeur d’asile est insuffisante pour pouvoir se loger de manière digne et stable.
En prévoyant parallèlement que le départ de leur lieu d’hébergement sera assimilé à un risque de fuite, les dispositions leur retireront leur allocation pour demandeur d’asile. Ce simple fait les exposera au risque de placement en rétention. En prévoyant parallèlement l’augmentation de la durée de rétention pour viser un éloignement massif du territoire, le projet de loi organise les conditions dans lesquelles les demandeurs d’asile ne pourront plus bénéficier des conditions matérielles d’accueil auxquelles elles ont le droit: un hébergement et une allocation et ce, quel que soit le pays responsable de la demande d’asile.
Aujourd’hui, moins de 10 % des personnes placées sous procédures Dublin sont effectivement reconduites dans le pays responsable de leur demande d’asile – soit 1 290 personnes environ en 2016 - alors que dans le même temps un nombre équivalent de personnes est réadmis en France depuis d’autres Etats membres de l’Union Européenne. Intensifier les mesures de contrôle et d’assignation à résidence ne permettra pas de renforcer le taux de transfert mais conduira inévitablement les personnes vers la grande précarité et une errance dans l’extrême dénuement, générateur de stress et de peur accrue. Ces femmes, ces hommes et ces enfants sont des humains avant d’être des demandeurs d’asile, qui devraient pouvoir bénéficier des conditions matérielles d’accueil comme toute personne en demande de protection. La seule et unique conséquence de telles mesures sera de les faire fuir des centres d’hébergement et des logements qu’ils occupent pour les enfoncer dans une clandestinité où ils deviendront invisibles, avec toutes les conséquences que l’on connait sur le sentiment de peur et son impact sur la famille, notamment sur les enfants. C’est les exposer à davantage de vulnérabilité avec les dangers qu’elle engendre (marchands de sommeils, abus en tous genres…). La prise en charge des mineurs est d’autant plus indispensable que la protection de l’enfant en danger constitue dans notre pays une obligation depuis une première loi de la Convention en 1793, et réaffirmée – à la charge des départements depuis plus de deux siècles. Si la mesure devait se généraliser avec l’implication des associations, elle provoquerait de plus une rupture de confiance avec le public qui pourrait se sentir trahi et piégé, ce qui entrainerait une délégitimation de nos missions de solidarité, d’accompagnement et de construction de lien social.
Le règlement Dublin et ses conséquences désastreuses sur la vie des personnes sont un fait qu’il nous faut regarder sur le fond et non sur le registre de l’émotion face à des flux migratoires qui continueront vers l’Europe sans doute encore très longtemps. Les associations sont unanimes pour demander à ce que la France prenne sa part de responsabilité dans l’accueil des demandeurs d’asile et utilise la clause discrétionnaire prévue par le règlement Dublin pour requalifier les procédures et rendre la France responsable de ces demandes. Les négociations européennes seront désastreuses sur la vie de ces personnes si elles aboutissaient à ce que la logique de contrôle, de refoulement et d’éloignement prévalent sur une politique d’accueil et de solidarité européenne. Cette clause ne peut disparaitre de la future réforme par l’Union européenne du « paquet asile », car cela reviendrait à conforter l’idée que le droit d’asile n’est plus un droit absolu en Europe.
Les conséquences de Dublin pour les demandeurs d’asile :
Les personnes « dublinées » sont aujourd’hui placées dans l’angoisse permanente d’être renvoyées dans l’Etat responsable de leur demande où elles ne veulent pas se rendre. Les raisons de ce refus sont multiples et souvent liées entre elles : attaches en France, mauvais traitements ou conditions d’accueil indigne déjà vécus dans l’Etat responsable, retour vers des réseaux d’exploitation, crainte de voir la demande moins bien examinée ou encore crainte d’être renvoyé par l’Etat responsable dans le pays d’origine. Durant la période où elles sont placées en procédure Dublin les personnes sont placées dans une situation de grande précarité administrative et psychologique puisqu’elles n’ont pas la possibilité de faire entendre leur besoin de protection.
En voulant appliquer coûte que coûte cette procédure de manière de plus en plus contrainte et sans aucune prise en compte des souhaits des personnes, les préfectures placent les personnes en besoin de protection dans une situation d’extrême indigence. D’une part, elles peuvent, dès l’absence à une seule convocation en préfecture, rallonger les délais d’expulsion (de 6 à 18 mois) et placer ces personnes « en fuite ». Pendant cette longue période, les demandeurs d’asile en besoin de protection se voient retirer l’allocation pour demandeur d’asile, la prise en charge dans leur hébergement et l’accompagnement social. Face à une convocation en préfecture, les personnes font donc face à un dilemme terrible : se rendre à la convocation au risque d’être expulsées ou renoncer à s’y présenter et être placées en « fuite ». D’autre part, les personnes qui seront placées en rétention et renvoyées, seront pour beaucoup amenées à revenir pour les différentes raisons qui motivent leur présence en France. Elles se verront balloter d’un Etat à un autre, et seront poussées à se cacher pour éviter les transferts.
3. L’atteinte à la déontologie du travail social
C’est dans ces mesures de contrôles et de confusion des rôles entre travailleurs sociaux et agents de l’Etat que les différents textes proposés par le gouvernement franchissent une ligne rouge que les associations ne peuvent tolérer. Il y a là clairement une volonté de faire endosser aux associations d’action sociale des missions de recensement, de contrôle, voire même de signalement en cas d’assignation à résidence, qu’elles ne sauraient accepter d’accomplir. Les centres sociaux et médico-sociaux, les associations d’insertion, d’hébergement et de logement n’ont pas vocation à participer à une politique de régulation de l’immigration.
C’est grâce à leur mobilisation et celle de 30 associations que le Conseil d’Etat, saisi par un recours en référé suspension, a considérablement limité la portée de la circulaire du 12 décembre 2017, visant à organiser « l’examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence » par des « équipes mobiles » composées d’agents de l’OFII et d’agents
de la préfecture.
Le Conseil d’Etat, sans suspendre la circulaire, a strictement encadré le recueil d’informations et le rôle des équipes mobiles intervenant dans les centres. Validant l’argumentaire des associations, il a également rappelé que le recensement des personnes ne pouvait se faire que sur la base du volontariat, tant des personnes hébergées que des associations gestionnaires.
Même si cette décision constitue une avancée certaine, il convient de rester vigilant sur l’application des dispositions de la circulaire, notamment pour les personnes hébergées dans des dispositifs hôteliers où l’accompagnement se trouve limité et l’accès à l’information (sur le rôle des équipes mobiles) pourrait être compromis.
Même si la mobilisation des associations a permis de rendre la circulaire inefficace et son application inutile, le projet de loi asile/immigration constituera pour le gouvernement un vecteur supplémentaire pour tenter de remettre en cause le principe de l’accueil inconditionnel et tenter de faire participer les travailleurs sociaux à la politique de contrôle des flux migratoires.
C’est pourquoi il est important de rappeler que les centres d’hébergement doivent rester des lieux d’accueil sûrs, où la protection de la personne en situation de grande précarité doit être garantie, sans condition préalable. Notre propos n’est pas de porter un jugement sur qui doit rentrer ou sortir du territoire, mais de rappeler des principes clairs, de refuser le mélange des genres, de défendre le travail social et sa déontologie. Il ne revient pas à ces professionnels et bénévoles par exemple, de s’assurer que des personnes assignées à résidence, sont effectivement présentes dans les structures pendant la plage horaire déterminée et de prévenir la préfecture le cas échéant. Les travailleurs sociaux ne sont pas des auxiliaires de police et ne peuvent y être assimilés, c’est tout le socle de l’action sociale qui est en jeu.
La conscience éthique et déontologique est une part revendiquée de leur pratique professionnelle par les travailleurs sociaux, mais également une réponse à des dérives. Le travail social est basé sur le respect de la valeur, de la dignité de chacun et des droits qui en découlent. Les travailleurs sociaux ont à faire respecter et à défendre l’intégrité et le bien-être physique, psychologique, affectif et spirituel de chaque personne. Ce sont les principes des droits de l’homme et de justice sociale qui fondent ainsi le travail social.
La violation du principe d’anonymat et de confidentialité des informations recueillies est ainsi une autre atteinte aux missions du travail social prévue dans le projet de loi, dans l’échange d’information sur les demandeurs d’asile et les réfugiés entre l’OFII et les SIAO, par exemple. Cette mesure ouvre une brèche dans l’accueil inconditionnel des personnes qui implique que la situation administrative des personnes ne peut être une condition ni d’entrée ni de maintien dans le dispositif d’hébergement. Institutionnaliser ces échanges, c’est rapprocher des fichiers permettant à l’OFII d’avoir connaissance des données sur les déboutés de l’asile ou des personnes placées sous procédures Dublin. Or, ces personnes doivent être protégées au même titre que toute autre dès lors qu’elles sont accueillies dans nos organismes dans le cadre de nos activités, comme toute personne démunie. Ce n’est qu’à cette condition que la confiance nécessaire à tout travail social pourra être garantie.
Si le gouvernement poursuit réellement un objectif de fluidité et d’amélioration de la situation des personnes dans les centres d’hébergement, l’obtention d’un titre permettant l’accès au logement et à l’emploi des personnes présentes dans ces structures depuis plusieurs années, de nationalité française ou étrangère, avec droit au séjour ou non éloignées, est LA solution de bon sens face à des drames humains de familles entières condamnées à rester dans la précarité, fautes de solutions de sortie. L’accès à l’éducation pour les mineurs, obligation sanctuarisée par la Loi doivent être également nécessairement garantie.
Dans cette perspective, la question ne peut être traitée indépendamment du Plan pour le Logement d’abord que le Gouvernement met en place.
Les associations sont convaincues que ce n’est qu’à travers des solutions qui respectent l’individu, leur choix, et
leurs droits que le droit d’asile et le respect des principes de solidarité seront garantis. De façon générale, les associations de solidarité préfèreraient développer leurs actions en confiance avec les pouvoirs publics et regrettent que ce projet de loi n’ai fait l’objet d’aucune concertation sérieuse et approfondie avec le secteur associatif qui aurait permis d’obtenir un texte plus équilibré et respectueux des droits des personnes.