« L’accès à la santé des personnes précaires est une urgence sanitaire et sociale »
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoit de lutter contre la fraude, alors que la priorité devrait porter sur les inégalités en la matière, jugent Louis Gallois et plusieurs personnalités du secteur médico-social dans une tribune au « Monde ». Signataires : Louis Gallois (président de la Fédération des acteurs de la solidarité dont la Fondation de l'Armée du Salut fait partie), André Grimaldi (diabétologue à la Pitié-Salpêtrière), Françoise Sivignon (présidente de Médecins du monde) et Alfred Spira (membre de l’Académie nationale de médecine).
Alors que les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale vont être prochainement examinés par les députés, nous nous inquiétons du sort réservé aux plus précaires. Attribuer quelques crédits supplémentaires, par exemple à l’aide médicale d’Etat (AME), tout en déployant des moyens coûteux pour lutter contre la fraude (pourtant minime !) ne suffira pas à la mise en œuvre d’une politique ambitieuse de prévention et de réduction des inégalités sociales et territoriales de santé.
La France, cinquième puissance économique mondiale, compte encore neuf millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et cinq millions d’exclus de la santé. La nouvelle stratégie nationale de santé et les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale, actuellement en débat, doivent prendre en compte cette situation et s’enrichir de propositions concrètes pour apporter des réponses fortes aux besoins des personnes en précarité.
Ces dernières, comme le souligne le dernier rapport de l’Académie de médecine sur la santé des plus précaires, sont en effet plus souvent exposées à des risques sanitaires du fait de conditions de vie plus difficiles : logements insalubres, vie à la rue, exposition aux violences, emplois à risques, etc. Celles-ci constituent ainsi un obstacle important à l’accès à la prévention et aux soins pour des personnes qui ont d’autres priorités (se nourrir, se loger, travailler), nourrissant la spirale de l’exclusion ; les problèmes de santé menacent pourtant la capacité à retrouver un logement ou un emploi.
Eviter le basculement dans l’exclusion irrémédiable
Malgré le déploiement de moyens importants – sanitaires, sociaux, professionnels ou associatifs –, la santé des personnes précaires est aujourd’hui de plus en plus compromise. Ces personnes risquent de voir leur état de santé se dégrader fortement et leur situation basculer dans l’exclusion irrémédiable.
Deux phénomènes doivent être combattus conjointement pour améliorer leur accès à la couverture maladie : la complexité administrative des prestations et l’existence de systèmes distincts. Pour améliorer cette situation, il nous semble indispensable de rendre réellement effectif l’accès au système de santé à toutes les personnes vivant en France par la création d’une assurance maladie universelle et par le déploiement de l’attribution automatique des droits à la santé.
Les dispositifs de protection sociale sont en effet à la fois simples et complexes : simples pour les personnes qui ont une situation administrative en règle, un emploi et des revenus supérieurs aux « minima sociaux », complexes dès que la situation des personnes sort de ce cadre et qu’elles connaissent la précarité (situation administrative particulière, absence de titres de séjour, mauvaise maîtrise de la langue, chômage, diminution brutale des revenus, etc.).
L’accès aux droits en santé doit, pour être effectif, rompre avec le besoin de cumuler différentes prestations aux règles spécifiques et ouvrir directement l’accès à tous les droits, c’est-à-dire à la protection universelle maladie et à une assurance complémentaire appropriée. L’accès à cette sécurité sociale universelle serait proposé aux bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS), comme c’est aujourd’hui le cas pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).
De plus, pour éviter la coexistence de systèmes distincts, il nous paraît primordial que le dispositif de l’aide médicale d’Etat (AME) soit intégré dans le régime général de la Sécurité sociale.
Simplifier les dispositifs
Toute personne résidant en France depuis au moins trois mois, sans papiers, peut demander à bénéficier de l’AME, donnant accès à un panier de soins limité. Ces personnes, exposées à des risques de santé en raison de leurs conditions de vie et de leurs parcours migratoires, n’ont pas de carte Vitale et ne sont pas rattachées à l’Assurance-maladie. Alors que ces personnes ont des besoins d’accès aux soins similaires à ceux des personnes en précarité en général, elles ne sont pas intégrées au droit commun. Cela implique pour les professionnels sociaux et médico-sociaux l’application de règles complexes et différentes, donc des coûts de gestion importants. Pour ces personnes, c’est l’accès à la santé et aux droits qui se trouve complexifié et, souvent, empêché.
La fusion des dispositifs de l’AME et du régime général de la Sécurité sociale permettrait ainsi un accès aux droits et à un parcours de soins simplifié, permettant une prise en charge précoce, évitant un coût plus important pour la société, ainsi que la stigmatisation des plus précaires et des étrangers en séjour durable. Les économies de gestion générées compenseraient largement l’intégration de l’AME dans ce régime général, puisque ce dispositif ne représente que 0,48 % du montant des prestations de couverture santé.
L’attribution automatique des droits d’accès à la santé, c’est-à-dire à la PUMa (protection universelle maladie), sur le simple constat d’un séjour durable en France, permettra un accès précoce aux services de soins et de prévention, meilleurs garants pour encourager une prise en charge sanitaire efficiente et moins coûteuse sur le long terme.
L’accès à la santé relève des droits inaliénables qui protègent la dignité de tout être humain. Il nous faut dépasser des blocages idéologiques et politiques pour redonner, sans générer de dépenses nouvelles, tout son sens à une médecine qui doit d’abord protéger l’humain. La création d’une assurance maladie universelle et la simplification de l’accès aux droits doivent constituer un élément important de la prochaine stratégie nationale de santé et des objectifs visés par les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale.