Rester femme malgré la précarité
5 à 7 jours en moyenne par mois. Et tous les mois, la plupart des femmes ont leurs règles. En France, de plus en plus de femmes sont en situation de précarité menstruelle. C’est-à-dire qu’elles n’ont pas accès aux protections hygiéniques, faute de ressources. Les femmes en grande précarité ou vivant à la rue doivent, elles, choisir entre manger ou s'acheter ces protections.
Vivre à la rue et rester une femme
La Cite des dames, de la Fondation de l'Armée du Salut, a vu le jour en janvier 2019, au cœur du XIIIème arrondissement de Paris, dans les murs de l'emblématique et historique centre d'hébergement et de réinsertion sociale, la Cité de Refuge. Femmes à la rue, victimes de violences, adolescentes en perte de repère, le lieu d’accueil garde ses portes ouvertes 24h/24 et 7j/7. Fruit d’un partenariat entre la Fondation et l'Association pour le développement de la santé des femmes (ADSF), la Cité des dames est le second établissement du genre dans la capitale, qui offre un accompagnement social et sanitaire aux femmes en situation de précarité.
Être une femme et vivre à la rue accentue la fragilité. Vulnérables face aux violences physiques et sexuelles. Vulnérables aussi par leur cycle menstruel. La difficulté majeure pour ces femmes : ne pas avoir accès à des produits hygiéniques propres à l'emploi et de trouver un lieu pour les changer. Avec l’augmentation des toilettes payantes et l’insalubrité des lieux, il devient presque impossible pour elles de vivre leur féminité sereinement. Beaucoup de femmes sans-abris font face à des risques d’infection. Prisca est femme repère, à la Cité des dames. Elle est sortie de la rue grâce à l'aide des maraudeuses de l’ADSF. Elle raconte que comme les autres femmes dans sa situation elle « utilise du papier des toilettes publiques » ou des produits hygiéniques souvent insalubres.
La précarité menstruelle : un enjeu social et sanitaire majeur
Axelle de Soussa, 30 ans, sans domicile fixe depuis deux ans, explique qu’elle « s’expose au syndrome du choc toxique en gardant un tampon trop longtemps » car elle doit « choisir entre manger ou rester propre ». Certaines femmes qui viennent à la Cité des dames sont enceintes et dans des situations souvent difficiles (maladies, violences, traumatismes…). D’autres ont un cycle menstruel complètement déréglé ou n’ont plus leurs règles à cause des traumatismes et du stress. Anne Bachellier, sage-femme de l’ADSF, explique qu’« on atteint un summum de vulnérabilité, un pic d’émotions durant ses règles, et cette fatigue physique demande davantage de protection ».
Il est très important que des lieux comme La Cité des Dames existent car la surveillance gynécologique et médicale est vitale pour toutes les femmes. L’établissement propose, en effet, un suivi par des sages-femmes de l’ADSF, des frottis pour prévenir du cancer du col de l’utérus et un diagnostic de la situation des bénéficiaires pour les orienter au mieux.
Selon l’IFOP, en 2019, 39% des femmes les plus précaires ne disposent pas d'un nombre suffisant de protections hygiéniques.
Face à l’enjeu social et sanitaire, la Fondation de l’Armée du Salut renforce sa mobilisation et distribue des kits hygiéniques durant sa maraude quotidienne du matin, dans certains arrondissements du nord-est de Paris (lire ici le dossier du Magazine des donateurs de la Fondation consacré à cette maraude). Responsable de la maraude, Joël raconte que « les femmes sont plus demandeuses en été ». Pourquoi ? Beaucoup d’associations ferment durant les mois de juillet et août, les femmes ont donc moins accès aux produits hygiéniques, jadis distribués par les associations.
La Fondation de l'Armée du Salut développe des partenariats pour les femmes
Ouvert en novembre 2018, le foyer Nazareth, situé dans le 15e arrondissement de Paris et géré par la Fondation de l’Armée du Salut, accueille plus de 30 femmes avec leurs enfants. Rattaché au Palais de la Femme (11ème arrondissement), le foyer a développé un partenariat avec différentes associations. Delphine Ragot, chef de service de l’établissement explique qu’elle travaille avec « l’association Féminité sans abri, qui prépare des trousses de soin composées d’échantillons dont des protections hygiéniques ». Elle ajoute que le foyer a « organisé plusieurs collectes de produits hygiéniques avec Règles élémentaires et la Mairie du 11ème arrondissement (Ndlr: où se trouve le Palais de la Femme) ».
Pour Delphine Ragot, les femmes vivant dans la rue « sont plutôt "consommatrices" de produits hygiéniques comme les serviettes, car elles ont souvent une méconnaissance des autres moyens. Elles n’ont aussi pas forcément accès à des toilettes, ce qui les empêche d’utiliser des protections comme les coupes menstruelles ».
Lors des ouvertures des centres d’hébergement d’urgence en hiver, Delphine Ragot constate « que les femmes accueillies n’ont souvent pas les moyens de se fournir en protections hygiéniques ». L’urgence devient alors, à la fois, sociale et sanitaire.