Souvenirs du tremblement de terre en Italie du sud en 1980

Publié le : 16 octobre 2020
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Quand j’ai appris par la télévision la nouvelle du tremblement de terre dans le sud de l’Italie, le 23 novembre 1980, j’avais 18 ans et demi et j’étais en première année de fac de droit à l’université de Paris I. Avec les amis de la fac, tout le monde parlait de vouloir aller sur place pour aider. Philippe Clément (Ordre du Fondateur) est aujourd'hui responsable national des scouts salutistes en France et en Belgique depuis 34 ans. 

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Souvenirs du tremblement de terre en Italie du sud en 1980
Nom, prénom témoignage
Philippe Clément (OF)
Détail sur la personne
Ordre du Fondateur, responsable national des scouts salutistes en France et en Belgique depuis 34 ans
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Quelques jours plus tard, nous avons appris que l’Armée du Salut italienne était en charge des secours sur le village d’Aténa Lucana et les villages environnants et que les capitaines Batail et Yapoudjian envisageaient de former des équipes françaises tournantes tous les 10 jours pour aider nos amis italiens. J’ai eu le privilège de participer à la 2ème équipe française qui s’est rendue sur place plus ou moins entre le 5 et le 15 décembre.

Le voyage

Nous sommes partis de Paris le jeudi vers midi avec un minibus de l’Armée du Salut. Ma maman, la Major CLEMENT, à ce moment SNJ avec mon père, conduisait. La Major LAUTIER et moi-même étions les passagers. Le voyage s’est passé dans la bonne humeur entre Paris et Lyon car la Major LAUTIER nous faisait beaucoup rire en nous racontant ses aventures d’officière de l’Armée du Salut en France et en Italie. Il y avait aussi un très fort contraste entre la situation apocalyptique qu’elle nous décrivait à notre arrivée à Atena Lucana et le fait qu’en raison de ses problèmes médicaux, elle mangeait toutes les 2 ou 3 heures avec serviette, couverts, petits boites plastiques…. Nous nous sommes arrêtés à Lyon puis à Valence pour prendre d’autres passagers de l’équipe française avant d’arriver à Nice tard dans la soirée. Je me souviens de Sylvain KUHN, un autre jeune de mon âge, du Capitaine Emmanuel WESTPHAL et d’une jeune médecin bénévole. Après quelques heures de repos à Nice, nous sommes repartis tôt le vendredi matin avec un 2ème minibus plein de matériel et le Major BATAIL. La traversée de l’Italie a duré toute la journée. Le minibus de matériel est tombé en panne et le minibus avec les passagers est arrivé à Aténa Lucana vers minuit le vendredi soir. Pour passer les péages gratuitement, il y avait un mot de passe miraculeux : « aiuto sinistrati ».

La base de l’Armée du Salut

La base de l’Armée du Salut était composée d’un grand chapiteau style cirque divisé en deux parties principales, une partie stockage et une partie salle de réunion. Dans un « coin » il y avait aussi la cuisine/salle à manger de l’équipe. Il y avait aussi plusieurs tentes marabout qui servaient pour le couchage des hommes et quelques caravanes chauffées qui venaient d’arriver pour le couchage des femmes. Il y avait aussi un minibus et quelques voitures, puis une cantine mobile est arrivée du Royaume-Unis. Dans la partie stockage de matériel avaient été aménagés quelques box couchage dans un desquels je dormais. Il faisait très froid, nous étions dans la montagne et en hiver, et il y avait de la neige sur les sommets. Je disposais de deux duvets en plumes, de plusieurs couvertures, d’un pyjama épais mais même la bouillote réussissait difficilement à me réchauffer. La Major COLANGELLO et la Sergente CRUCIANI préparaient tous les repas de l’équipe en alternant des Pastasciuttas et des Risottos roboratifs. Les tables étaient constituées de tréteaux et de planches, les bancs de planches sur des parpaings.

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Le village d’Aténa Lucana

Le village d’Aténa Lucana n’avait pas trop souffert du tremblement de terre. Il n’y avait eu qu’un mort par crise cardiaque mais toutes les maisons à défaut de s’être écroulées étaient très lézardées et beaucoup trop dangereuses pour rester dedans. Les habitants logeaient donc dehors dans leurs voitures, dans des tentes et dans des cabanes en plastique. Je me souviens qu’un jour où nous devions aller chercher du matériel dans le bâtiment du poste, nous avions reçu des consignes très strictes : laisser toutes les portes ouvertes, faire ce que nous avions à faire le plus vite possible et s’enfuir à toutes jambes si une nouvelle secousse survenait. Les prêtres catholiques avaient quitté la ville et seule l’Armée du Salut était sur place pour secourir les gens tant matériellement que psychologiquement et spirituellement. Nous avons eu l’occasion exceptionnelle de visiter la ville de Balvano située à l’épicentre du séisme dont le portail de l’église s’était effondré sur les paroissiens qui tentaient de fuir. Une visite très poignante et émouvante dans ce champ de ruines ayant enseveli tant de vies humaines.

La routine quotidienne

Le matin, après le petit-déjeuner et un temps de ressourcement spirituel, plusieurs équipes accomplissaient des travaux différents. Une équipe servait des petits déjeuners avec boissons chaudes aux habitants qui avaient passé la nuit dans le froid. Cela se faisait au début avec un minibus normal puis avec la cantine mobile arrivée du Royaume Unis avec quelques salutistes. Une équipe restait sur la base pour répondre aux besoins de toutes les personnes qui se présentaient en distribuant des couvertures, des vêtements chauds,… et faire tout le travail nécessaire. Avec le Major MORETTO, je partais tous les matins dans les villages environnants avec un minibus chargé de matériel de première nécessité et nous distribuions couvertures, vêtements chauds, réchauds à gaz, kits d’hygiène, bottes de pluie.

J’ai commencé à apprendre l’Italien avec les pointures des bottes : trentanove, quaranta, quarantuno, quarantadue…. Je me souviendrai toujours de la chaleur de l’accueil de toutes les personnes que nous aidions. Il était difficile de ne pas s’arrêter chez chacune pour boire un café… Au-delà de l’aide matérielle, la chaleur humaine était très importante. Je ne pouvais pas comprendre grand-chose des conversations mais je pouvais ressentir l’empathie réciproque. Tous les après-midis, il y avait une réunion pour les enfants qui n’avait plus école ni aucune autre activité. C’est en chantant que j’ai continué à apprendre l’Italien : Io ho un amico che mi ama, mi ama, no mi abbandona, tu hai un amico… Le soir, il y avait une réunion d’évangélisation pour les adultes où nous chantions beaucoup avec l’accordéon pour oublier l’angoisse : Qual laetitia caminar con lui… Je me souviens qu’un soir pendant la réunion, il a eu une secousse sismique que nous, les Français, n’avons pas vraiment remarquée. Nous avons pensé que quelqu’un avait tapé dans notre banc de fortune et l’avait fait trembler mais nous avons vite remarqué la tension soudaine sur les visages, certaines personnes se levant d’un bond dans l’expectative. Nous chantions à ce moment-là, alors nous avons continué à chanter jusqu’à ce que la tension baisse et que les cœurs s’apaisent.
 

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La journée du dimanche

Le dimanche, la journée était un peu particulière. Tous les salutistes sont partis toute la journée dans les villages environnants pour faire des cultes : Braide, Santa Helena et Brienza si je me souviens bien en finissant avec le culte du soir à Atena Lucana. Sylvain, l’autre jeune de mon âge et moi-même sommes restés toute la journée à la base pour garder le campement. Nous avions appris deux phrases en Italien : Io no vi posso dare niente, et Non reunion per i banbini perque domenica. Nous nous sommes débrouillés tant bien que mal avec les quelques adultes qui sont venus le matin mais bien entendu, beaucoup d’enfants sont quand-même venus l’après-midi car ils n’avaient rien d’autre à faire. Quand ils ont vu que nous étions Français, les plus grands sont partis chercher leur livre scolaire de Français et nous avons fait des cours de Français et d’Italien croisés. Puis nous avons joué tous ensemble à Il gatto. 

Les répliques du tremblement de terre

Au cours de notre séjour, nous avons eu plusieurs petites répliques du séisme en journée outre celle pendant la réunion du soir. Cela ne m’inquiétait pas plus que ça, insouciance de la jeunesse ou fait que je n’avaiss pas vécu le vrai tremblement de terre. Je me souviens cependant du paysage très bizarre un soir orageux de réplique avec des couleurs tout à fait inhabituelles des nuages au-dessus des montagnes. Une nuit, nous avons eu une réplique un peu plus importante mais ce sont les hurlements à la mort des animaux quelques secondes avant les secousses qui nous ont réveillés. Heureusement rien de grave.

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Des souvenirs qui restent

Je me souviens bien d’autres personnes de l’équipe italienne dont je n’ai pas parlé ci-dessus : Les Majors GARONNE qui étaient les officiers du poste à ce moment-là, le Major PALLIA, la Major VINTI, Lydia BRUNO, Massimo TURSI, Massimo PAONE, Les Majors VOLET qui étaient venus rendre visite depuis la Suisse… Je me souviens de la bonne camaraderie qui unissait tous les équipiers Italiens, Français, Anglais, Suisses malgré des conditions sanitaires assez précaires.

Je me souviens de la sérénité et de la ferveur lors des cultes du soir sous la grande tente. Tous les jours nous rétrécissions la partie stockage et agrandissions la partie salle de réunion pour accueillir tous ceux qui voulaient nous rejoindre.

Je me souviens de l’accueil si chaleureux des personnes qui nous accueillaient quand nous apportions l’aide humanitaire. Cette expérience est restée gravée dans mon cœur depuis quarante ans et je regrette vraiment de ne pas être disponible en novembre pour vous rejoindre et nous souvenir ensemble de cette période si particulière. Je pense bien à vous et que le Seigneur vous bénisse tous en ce temps de commémoration.